Les nouvelles de ce recueil ont été écrites entre juin et décembre 1977.
 
   Mais avant d’en parler, d’abord quelques mots sur cette année hors du commun.

   J’habitais alors à Six-Fours-les-Plages dans une villa située sur une avancée de terrain face à la mer, pleinement exposée à tous les vents et détrempée par les embruns. Elle portait judicieusement le nom de “Hurlevent”.

   Au mois de mai le compositeur Karlheinz Stockhausen m’avait fait une proposition aussi inattendue qu’extraordinaire : devenir son assistant !
   J’avais alors décidé, dans la précipitation, de prendre une année dite “de disponibilité” (de juillet 1977 à septembre 1978 donc) afin de me préparer à cette opportunité exceptionnelle qui avait évidemment enflammé l’esprit du jeune homme de 22 ans que j’étais. 

   Après une courte période d’euphorie et de plans sur la comète, j’ai pris conscience de la réalité : ma fougue et ma passion pour sa musique ne pouvaient en aucun cas, même au prix d’un programme de rattrapage accéléré, pallier mes lacunes abyssales en connaissances musicales et, d’un coup de baguette magique, me donner les compétences nécessaires pour être l’assistant d’un compositeur, quel qu’il fût, et encore moins celui d’une sommité internationale telle que Karlheinz Stockhausen… 

   J’ai donc dû décliner cette proposition unique dans une vie. Stockhausen a bien compris mes raisons.
  Je n’ai jamais su pourquoi notre échange d’une dizaine de lettres à peine lui avait fait présumer que j’étais un étudiant en musique suffisamment compétant et digne d’occuper une telle fonction. D’autant plus que nous ne nous étions physiquement rencontrés que brièvement six mois auparavant, le temps qu’il m’écrive son adresse postale sur une page de carnet. Certes j’étais passionné par son œuvre, mais je ne lui avais objectivement envoyé que quelques lettres admiratives avec des poèmes que sa musique m’avait inspirés. Était-il encore plus fougueux que moi ?
  
   Cette année 1977 devait, malgré tout, être marquée du sceau du compositeur puisque j’ai pu participer en tant que stagiaire au Centre Sirius que Stockhausen anima au Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence du 21 juillet au 8 août. Au cours de ce stage, sa proposition de devenir son assistant se transforma en une non moins généreuse et inattendue invitation à séjourner chez lui durant l’hiver prochain, comme pour une résidence d’artiste, afin de mettre en chantier et finaliser l’écriture de SHU, un ensemble de poèmes basés sur ses compositions, dont je lui avais parlé.

   Avant cela, du 6 au 18 novembre de cette même année, j’ai suivi et enregistré au Centre culturel André Malraux de Rueil-Malmaison les répétitions sous sa direction, puis la création mondiale de la version d’Inori composée pour l’Ensemble Intercontemporain.
   Pour conclure royalement cette année, je devais prendre le train le 28 décembre pour me rendre à Kürten, chez Stockhausen.

   Mais parallèlement à cette année exceptionnelle en émotions et événements, j’ai donc également écrit les nouvelles de La Peur.

    A l’origine ce recueil comportait dix nouvelles séparées par neuf pages centrales de photographies (montages de photos d’actualité et de slogans publicitaires). 
   Je décidai, pour l’édition 1981, d’écarter trois nouvelles.
   La première, La Douleur – dont je n’étais d’ailleurs pas l’auteur (elle avait été écrite par ma première épouse) – ainsi que les cinquième et sixième nouvelles, L’Attente et La Nuit.
   L’Attente était basée sur ma très courte expérience du Service national en janvier et février de cette année : j’ai été heureusement réformé après un mois d’incorporation et un mois d’hôpital à Marseille. L’écriture en était trop simpliste et militante.
   Je ne sais plus pourquoi La Nuit est également passée à la trappe… Je n’en ai trouvé aucune trace dans mes archives.

   Le projet de pages centrales de photographies a été abandonné pour des raisons financières.

   Ne sont donc restées que les sept nouvelles suivantes :
   Le thème commun de ces nouvelles est l’irruption dans le quotidien d’un élément (ou personnage) déstabilisant, étranger, voire fantastique, faisant naître l’angoisse et l’insécurité. Paradoxalement, alors que je vivais une période riche en événements enthousiasmants et en possibilités, il ressort de toutes ces nouvelles une ambiance sombre et reflétant des préoccupations et des phobies probablement contemporaines : la pratique de la chasse dans Les Griffes, le totalitarisme dans Le Nouveau et Paredón, la violence dans La Fenêtre étroite, La Fuite, l’angoisse existentielle dans La Peur, La Médiation.

   Dans La Peur réapparaît le personnage d’un prêtre, déjà esquissé dans “Paysage de hasard” (non publié).
   Il m’avait été inspiré par un ecclésiastique que j’avais rencontré et qui faisait peu cas de ses vœux, autant de chasteté que de pauvreté. Il était le propriétaire (entre autres biens fonciers) de cette villa “Hurlevent” évoquée en début d’article. Il devait rompre illégalement le bail à la fin de cette année 1977 afin d’y loger une de ses maîtresses.
   Je me souviens d’une anecdote : le dernier soir, la veille de quitter cette maison, j’avais demandé à un ami d’y organiser une séance de spiritisme, dans l’optique vengeresse d’y laisser de mauvaises vibrations en souvenir…
   Nous étions une demi-douzaine d’amis à y participer. Ce fut la toute première séance de ce type à laquelle j’ai participé, avant de nombreuses autres qui ont suivi. Ces expériences seront évoquées plus tard dans “Je te réunirai”, récit paru en 2015.

   Paredón (dédié à Julio Cortázar) fut inspiré par une jeune Argentine, réfugiée politique, rencontrée dans la région parisienne au moment où je suivais les répétitions d’Inori.

  Pour écrire La Médiation, la trame narrative était basée sur la description d’une douzaine de photos trouvées dans des magazines, un peu dans l’esprit d’un cadavre exquis.
 

ue. La vie est parfois construite ainsi, mais le fil y est encore plus difficile à saisir.